Si, en 1968, une quasi-unanimité s’est faite en faveur de l’enseignement dialogué, c’est que tous les étudiants de ce cours avaient été recrutés parmi les lecteurs de la collection "Survivre"* . Cela a cessé d’être vrai dès la seconde année, et plusieurs étudiants ont été franchement incommodés par les dialogues. Que ceux qui seraient dans ce cas se rassurent : tous s’y sont adaptés fort vite parce qu’ils répondent à un besoin si profond et devenu si impérieux qu’aucun de nos étudiants n’accepterait aucune autre forme d’enseignement. La fonction du dialogue est de susciter la critique, le doute et le CHOIX LIBRE. Il est la condition sine qua non de la LIBERTE D’APPRENDRE, du DROIT D’ENSEIGNER, et de l’ABOLITION DU POUVOIR D’IMPOSER PAR INTIMIDATION .
Cependant, quelques indications sur la personnalité des protagonistes d’un "drame", auquel nos étudiants sont invités à prendre une part de plus en plus ACTIVE et VIVANTE, sont nécessaires à ceux qui n’ont lu aucun des ouvrages de cette collection : PIERRE : psychologue, meneur de jeu. BERNARD : biologiste bourré de savoirs. Parfois aussi, il semble avoir du coeur : c’est plus fort que sa science. HUBERT : père de famille plein de « sens commun », mais irascible. Cela se comprend : le malheureux a cinq filles. Il est le porte-parole de l’opinion publique. MEDICUS : psychiatre, il est prudent, sceptique, entendu, et ne s’en laisse pas conter. PHILIPPE : physicien, mathématicien, logicien, humoriste et Don Juan. Il est mauvais garçon et méchant homme. Ou sont-ce des airs qu’il se donne ?
PIERRE (aux étudiants) Nous vous remercions tout d’abord de votre inscription à ce cours. Difficilement accessible à ceux dont la sensibilité et l’intelligence ont été émoussées par les traditions culturelles anachroniques dont personne n’est indemne en Occident, la notice intitulée "Le dénouement d’une crise de croissance" peut être plus répulsive qu’attrayante. Son objectif est de réunir une étrange "élite" composée de personnes résistantes au culte du conformisme. Il semble avoir été atteint et tout porte à croire que nous ferons ensemble un travail fructueux. Nous pensons pouvoir donner, dans un avenir très prochain, une large diffusion à un cours qui, depuis dix ans, applique des méthodes nouvelles à l’enseignement de connaissances récentes. Les résultats obtenus sont concluants. Mais la prudence nous impose encore quelques mises au point qui rendent nécessaires la limitation du nombre de nos étudiants pour nous permettre de fréquentes prises de contacts personnels avec eux. La plupart d’entre vous avez déjà ou aurez bientôt un indispensable aperçu global de ce qu’est l’orthologique si vous avez lu ou vous apprêtez à lire le "Rubicon".
HUBERT(aux étudiants ) Ce dut vous être -ou ce vous sera- une belle occasion de constater que ce livre tient fort mal ses promesses. Son avant-propos s’achève sur ces mots : "Quand vous aurez achevé la lecture de ce livre, vous aurez franchi le Rubicon..." J’ai le sentiment quant à moi, d’avooir été laissé en plan sur cette rive-ci. Et je serais bien aise de savoir ce qu’est l’orthologique. Pas vous ?
PIERRE Avons-nous mérité tout à fait ces reproches ? Nos étudiants nous le diront.
BERNARD Ils nous l’ont dit en s’inscrivant à ce cours : c’était montrer, je crois, qu’ils ont un pied sur l’autre rive.
PIERRE Je l’espère, mais il serait imprudent de l’affirmer. Nous essayerons aujourd’hui de commencer à expliquer ce que l’orthologique peut faire pour chacun de nous. C’eût été impossible dans un ou même dans plusieurs livres, on comprendra bientôt pourquoi. Mais ce cours nous donne le pouvoir de dialoguer avec nos étudiants, et cela change tout. C’est à Philippe qu’il appartient de fournir une difinition globale, à la fois formelle et opérationnelle, de l’orthologique : il est notre logicien. Mais j’aimerais qu’il mette une sourdine à son humour, qui déconcerte bien des lecteurs et en horripile beaucoup. Malgré quoi, une enquête a révélé une chose dont j’ai peur qu’elle soit humoristique : il nous bat tous de plusieurs longueurs pour la cote d’amour, tant masculine que féminine !
PHILIPPE Parbleu ! C’était couru d’avance : je suis "mauvais garçon et méchant homme, ou sont-ce des airs que je me donne ?" (Les Jeux de l’Homme et de la Femme, page 10). Il y a doute. Or il est clair qu’en amour on ne s’abstient pas dans le doute : ainsi s’explique le surpeuplement de notre planète.
Venons en à l’orthologique. Il s’agit d’une logique à la fois intégrale et globale, rationnelle et surrationnelle, discursive et spirituelle, analytique et synthétique, consciente et instinctuelle, individuelle et universelle. Cela fait bien des chose à la fois. Ne nous en veuillez pas si nous n’avons pu les expliquer ni même les montrer toutes. Il va falloir les regarder une à une, et cela demandera beaucoup plus d’une leçon. Mais une revue passée au galop de chacun des caractères de l’orthologique suffira peut-être à donner une première idée de sa nature et de ses pouvoirs.
Est logique ce qui satisfait aux exigences de la raison, et l’orthologique le fait toujours. Sous son éclairage, tout devient rationnel même la poésie et la beauté, auxquelles se rajoute une satisfaction fondamentale : celle de com-prendre. La réciproque est vraie aussi : une équation, par exemple, n’est pleinement satisfaisante que si elle procure une émotion esthétique. L’orthologique est intégrale parce que toutes les facultés humaines de l’appréhension s’y intègrent, et elle est globale parce qu’elle englobe tous leurs apports. Elle est rationnelle parce que logique, et surrationnelle parce que, pour appréhender la signification des choses, elle a des pouvoirs que la raison n’a pas. Exemple : la table mendélévienne des éléments chimiques, qui désespérait Bachelard tout en le ravissant, mais qui ne devint rationnelle que lorsqu’on découvrit l’isotopie ; le surrationnel nous y a livré la vérité avant la raison et au-dessus d’elle. Le discursif est la démarche de la logique, le spirituel celle de l’amour (du vrai) et l’orthologique les conjugue toutes deux. Je ne dirai rien de l’analyse, de la synthèse, de la conscience, ni de l’instinct : l’acceptation courante de ces mots nous suffit pour l’instant. Quant à l’individuel et à l’universel, est-il besoin de dire qu’ils ne s’opposent pas ? Tous les individus font partie de l’univers, mais l’univers n’est accessible qu’à l’homme évolué qui, com-prenant TOUT, peut communier avec l’univers. C’est le cas des mystiques, les seuls hommes (des deux sexes) totalement satisfaits que l’humanité ait connus.
Eh bien, pour tout résumer en dix mots, le pouvoir de l’orthologique est de nous entraîner, mais pas après pas, à la "petite semaine" (au lieu d’extatiquement) dans les voies qui convergent vers la satisfaction totale.
HUBERT Bravo ! Bravo ! Mon enthousiasme déborde, mais où est l’orchestre ? Quelques mesures de la Marseillaise feraient bien à cet endroit, mais chantée en hébreu : on serait bercé par la chanson sans qu’il soit besoin d’entendre les paroles. Le tort que j’ai eu, et je m’en repens, c’est d’avoir prétendu à comprendre celles de Philippe.
PIERRE Bien des lecteurs souffriront du même repentir, mais ce n’est pas la faute de Philippe, dont l’exposé était condensé mais adéquat. On s’en convaincra en le relisant plus tard. Mais, même clair et complet, un exposé ne suffit pas. Il faut un cours pour initier à l’orthologique. J’invite néanmoins nos étudiants à constater dès à présent, en feuilletant la collection "Survivre", que les propriétés de l’orthologique inventoriées par Philippe s’y sont manifestées toutes.
HUBERT C’est bien beau de le dire, mais cela aussi pourrait ne pas suffire.
PIERRE Aussi comptons-nous le montrer. Ce cours, je le répète, ne prend pas son départ à zéro. Avant d’apporter du nouveau, nous nous efforcerons d’aider nos étudiants à assimiler les matières disponibles, à commencer par celles du "Rubicon".
PHILIPPE Cela n’empêchera pas d’apporter du nouveau, pourvu qu’il se situe dans la même veine. Mais il faut commencer par la logique primaire, qui faisait le fonds de commerce de Monsieur de La Palisse. Elle est puissante, mais ses pouvoirs sont limités. On l’a vue à l’oeuvre dans le "Rubicon" où elle accoucha sans douleur de la THEORIE DES ENSEMBLES ECONOMIQUES (pp.213 à 228). On en a besoin constamment : même avancée, l’orthologique fait des emprunts continuels à la logique primaire, et c’est pourquoi elle satisfait toujours le bon sens, qui est un de ses principaux critères.
PIERRE Le bon sens est une chose si importante que nous aurons à l’étudier de près. Jusqu’à ce qu’on ait compris d’où il nous vient et en quoi il consiste, c’est peut-être le plus mystérieux des attributs humains : il nous livre accès aux évidences VRAIES ET FAUSSES, et il faut apprendre à les distinguer. C’est ce que fait aisément la logique primaire. Ainsi le bon sens devient facilement éducable, alors que c’est la chose que l’on éduque le moins. Nous lui dévouerons tous nos soins car son importance est décisive.
PHILIPPE Nous n’y pourrions manquer. L’orthologique étant faite avant tout de bon sens, tout y est toujours évident. Le premier pas de sa démarche est la logique primaire. Il est impossible d’y avancer sans l’avoir fait. Mais ce n’est pas à ce niveau que se situe notre cours d’initiation. Faut-il s’y arrêter néanmoins ? A nos étudiants de nous le dire : s’ils se sont bien assimilés les enseignements de Monsieur de La Palisse, nous pourrons aborder tout de suite l’étape suivante, bien plus féconde, qui est la logique cruciale.
PIERRE La théorie des ensembles économiques fournit un exemple particulièrement clair de logique lapalissienne. Nul ne saurait avoir de peine à se l’assimiler, mais il faut prendre ce peu de peine. Cet exercice est instamment recommandé même à ceux qui ne s’intéressent aucunement à l’économie. (Aux étudiants) Infligez-vous, s’il vous plaît, ce désagréable pensum, mais en vous souciant seulement de la démarche utilisée pour atteindre le but. Il se trouve, cependant, que notre cours de "gestion modernisée des entreprises" se situe tout entier à ce niveau : il est tout fait de logique primaire, et cette circonstance pourrait être mise à profit. A titre exceptionnel (nous ne récidiverons pas), nous en reproduisons un extrait dans la présente leçon. Il s’agit d’un autre exemple d’application facile de la logique primaire à un problème sociologique important : la définition du profit. Veuillez lire attentivement cette "théorie du profit" pour n’en retenir, cette fois encore, que sa seule démarche. Puis répondez au questionnaire. Nous ajusterons notre prochaine leçon à vos réponses.
PHILIPPE (aux étudiantes féminines) Sachez, Mesdames et Mesdemoiselles, que Pierre est bourré de bonnes intentions ! il veut notre bien et, parce que certaines notions économiques sont nécessaires à l’épanouissement de votre féminité, il croit vous les faire avaler au prix d’un bon sourire d’encouragement : "infligez-vous ce abominable pensum ..." Heureusement qu’’il y a moi ! Mauvais garçon, je suis resté capable de sympathiser avec votre souci de ne pas vous laisser barbifier plus que ce n’est supportable. Si les théories économiques vous assomment, il sera temps d’y revenir quand vous en éprouverez une franche envie.
HUBERT Me voilà tranquillisé sur le sort de nos étudiantes : qu’on me coupe en rondelles s’il se trouve une femme normale pour éprouver cette envie avant l’an trois mille !
PHILIPPE Ce besoin naîtra chez toutes quand elles constateront qu’il leur faut apprendre ce qui profite vraiment à ceux qu’elles aiment pour devenir pleinement féminines. La femme insoucieuse des besoins réels de ceux qui dépendent d’elle n’est encore qu’une enfant. Mais, avant d’avoir touché ces choses du doigt dans leurs conséquences concrètes, peu de femmes (et des hommes à peine moins rares) peuvent imaginer l’utilité d’aucune théorie économique. Aussi Pierre a-t-il gaspillé sa salive et ses bonnes intentions : neuf femmes (et quelques six hommes) sur dix ne l’en croiront pas, et voilà tout ! Or tant qu’on en voit pas l’utilité, ces choses sont incroyablement assommantes, et rien n’est plus malfaisant que l’ennui. (Aux étudiants) Ayez soin de vous en abstenir tant que vous n’y pourrez prendre un intérêt passionné et son corollaire : un vif PLAISIR.
LA THEORIE DU PROFIT
N.B. Cette théorie est étrangère au présent cours. Elle a été élaborée pour servir de préambule à une série de leçons d’"ortho-économie" dont l’objectif est d’apporter à des dirigeants d’entreprises des éléments d’information nécessaires à la gestion profitable de leurs affaires, connaissances dont nul n’aurait que faire dans ce cours-ci.
PHILIPPE Qu’est-ce que le "profit économique" au sens le plus large de ce mot ? Autrement dit, en quoi consistent les activités économiques profitables à toutes les espèces vivantes, Homo sapiens compris ? C’est évidemment à Bernard qu’il faut poser cette question.
BERNARD Ce sont celles qui satisfont à leurs besoins. Mais tous les organismes vivants n’ont pas les mêmes besoins. Cependant, à la seule exception des virus, qui n’ont pas de moyens d’assimilation, tous ont besoin de se nourrir.
PHILIPPE Le virus lui-même n’échappe pas à votre définition : ses activités économiques, qui consistent à percer une cloison, satisfont à ses besoins d’un habitat (une cellule), si blâmablement qu’il se conduise lorsqu’il y a pénétré. Mais, dans le cas d’Homo sapiens, la définition du profit économique doit être élargie : les activités qui lui procurent des profits sont celles qui satisfont à ses DESIRS même funestes ! Pour y voir clair, il faut d’abord se poser une question : comment l’Homme s’y prend-il pour obtenir les choses qui satisfont aux désirs des humains ?
Eh bien, c’est triste mais vrai : de trente-six mille façons ! Le sauvage qui cueille une banane satisfait aux siens propres s’il la mange ou la donne à ses enfants, voire à une sauvagesse dont il convoite les faveurs ; le fabricant d’automobiles satisfait à ceux de ses clients ; le professeur répond (bien ou mal) à ceux des parents de ses élèves ; le détaillant à ceux des consommateurs ; Einstein à ceux des physiciens et, indirectement, à ceux des militaires, etc. Moyennant quoi tous parviennent à se faire payer plus ou moins bien, en argent ou en nature.
Le moment est venu, on le voit, de rappeler les règles steinériennes de l’intellection (Le Rubicon, pp. 97 sq.) : nous sommes en plein chaos. Comment classifier toutes ces activités ? Eh bien, dans ce cas-ci, ce sera exceptionnellement facile, puisque tous ceux qui s’y livrent font une même chose : ils gagnent leur vie en satisfaisant à des désirs humains. Mettons-les tous dans un même sac et donnons-leur un même nom : appelons-les producteurs. Et appelons profit -c’est notre droit- les choses qu’ils produisent . Le tour est joué : nous avons crée un début d’ordre, et nous avons acquis une première définition aux mots "profit économique". Je serais bien étonné si tout ne devenait clair et simple en un rien de temps .
HUBERT Si c’est cela que vous appelez "créer un début d’ordre", c’est que vous avez de l’ordre une idée vraiment originale ! Vous brouillez tout. Toutes les nuances sont sacrifiées. Les distinctions les plus élémentaires disparaissent. Notre vocabulaire quotidien est massacré. Les mots les plus courants perdent leur sens, et l’on ne sait plus si l’on est sur les pieds ou sur la tête ! Vous appelez producteurs des gens qui ne produisent rien, et une banane devient un profit !
Je me refuse à vous suivre dans cette voie. Je tiens à distinguer un créateur, comme le savant ou l’artiste, d’un producteur comme l’industriel ou l’agriculteur, et d’un auxiliaire comme l’ouvrier, et même d’un serviteur comme le médecin ou le prêtre. Quant au profit, souffrez que je m’obstine à le dire fait d’une différence (positive) entre le prix de vente et le prix de revient.
PHILIPPE Vos distinctions, mon cher Hubert, pourraient être valables si elles étaient opportunes. Mais, dans le cas présent, nous cherchons précisément à les éliminer. Notre but est d’obtenir la classification la plus générale qui puisse se faire légitimement. Il ne s’agit pas de distinguer, mais de généraliser. Nous avons procédé de la même façon dans le RUBICON : nous avons assimilé à des ventes toutes les transactions qui donnent lieu à des paiements, et cela a suffi pour donner naissance à la théorie des ensembles économiques, dont la valeur et l’importance seront bientôt évidentes à nos étudiants.
Nous faisons la même chose aujourd’hui : nous appelons producteurs tous ceux qui produisent des choses vendables ou échangeables, et nous disons profit tout ce qui nous profite. Loin de violenter le vocabulaire, nous exploitons ses clartés. Admettez s’il vous plaît que c’est notre droit. Et, pour juger la légitimité ou l’opportunité de notre classification, il faut attendre qu’elle ait porté ses fruits. Quant à la sorte de profit que vous jugez seule digne de ce nom, nous allons nous en occuper à l’instant.
BERNARD Je voudrais faire observer à Hubert que plusieurs de ses distinctions sont arbitraires et propres à embrouiller les concepts en déformant les faits. On peut certes distinguer les industriels, les ouvriers, les artistes, les intellectuels, etc. Mais pas comme Hubert l’a fait. Les hommes ne créent et ne produisent rien ex nihilo. Ils transforment seulement. Les équations d’Einstein sont des aliments transformés en pensée, et elles permettent (notamment) la transformation des métaux bruts en fusées spatiales. Bref tous les hommes sont des transformateurs et production veut dire transformation. La généralisation de Philippe est légitime à priori, sur le plan de la pensée abstraite, sans qu’il soit nécessaire de la juger à ses fruits. PHILIPPE Merci Bernard, vous êtes un frère, et je l’ai toujours dit. Mais il reste à justifier l’OPPORTUNITE de cette généralisation, sa valeur pratique, et ce sera vite fait : nous allons regarder ce que peut signifier le mot "profit" tel que l’entend Hubert. Nous l’analyserons avec soin lorsque nous aborderons l’étude de la comptabilité financière, mais, pour le mettre à sa juste place dans une classification générale, un coup d’oeil suffit : c’est le profit comptable, c’est-à-dire symbolique. Il n’a, en soi, aucune consistance. Il est aux vrais profits humains ce que le mot est à la chose ou la carte géographique au territoire. Sa fonction est de représenter en symboles numériques, mais non pas de contenir, les résultats de nos activités économiques.
Nous voilà acculés à une première conclusion : il y a (au moins) deux sortes de profits : les profits symboliques et les autres. Comment nommerons-nous ces derniers ? N’en déplaise à Hubert, j’ai bien peur qu’il faille les appeler par leur nom : ce sont les profits réels. Par opposition à "symbolique", le mot "réel" est celui que le langage nous impose presque inévitablement. Contrôlons-le quand même, par acquit de conscience professionnelle. N’est-il pas évident que les richesses produites, matérielles ou non, sont les seules réellement profitables aux humains ? C’est d’elles seules que dépendent notre survie et notre bien-être. Les profits symboliques ne sauraient nourrir, vêtir, loger, ni subvenir à aucun des besoins réels de personne. Le mot "réel" est donc bien celui qui convient.
PIERRE Tout cela semble incontestable, mais j’y vois une grave objection : l’acception courante du mot "profit" est celle d’Hubert, et il serait vain de prétendre à lui imposer un autre sens. Il en résulterait de continuels quiproquos.
PHILIPPE C’est évident. Aussi aurons-nous soin d’utiliser un autre mot qui ne prête à aucune confusion. Ce que j’ai essayé de montrer aujourd’hui, c’est combien la confusion s’est faite entre le symbole et la chose symbolisée. Combien, dès lors, les hommes ont de tendance à délaisser la proie pour l’ombre. C’est ainsi que l’on perd de l’argent au lieu d’en gagner,et c’est pourquoi nous vivons dans un monde où l’abondance des profits réels entraîne la DISPARITION des profits symboliques** : on y perd tout à la fois la proie et l’ombre !
Je résume les contenus de cette deuxième leçon : les activités économiques des humains consistent à poursuivre des profits, mais il en est de deux sortes : les profits symboliques exprimés en argent, et les profits réels, c’est-à-dire ceux dont dépendent notre survie et notre bien-être. (Aux étudiants) Sans doute avez-vous été choqués qu’il ait fallu tant de pages pour une récolte aussi mince, et vous avez raison : il eût été facile, en empruntant les chemins raccourcis, d’en dire autant et plus en une seule page. C’est ce que nous aurions fait si notre but avait été d’exposer la théorie du profit. Mais notre objectif était de rendre visible, en la détaillant pas à pas, la démarche qui conduit à cette théorie. C’est le premier pas de la démarche orthologique, et c’est cela que, pour commencer, nous devons essayer d’enseigner.
HUBERT Si c’est ça l’orthologique, je regrette d’avoir à vous dire, mes chers amis, que vous vous trompez d’adresse : aucun homme d’affaires n’y saurait prendre le plus petit intérêt. Nous n’avons ni le temps ni le goût de couper les cheveux en quatre, ni moins encore celui de prendre part à des querelles de mots. Nous abandonnons de grand coeur ces occupations aux philosophes et aux théoriciens. Croyez-m’en : nous avons trop d’autres chats à fouetter.
PHILIPPE Soyez sans crainte : il ne s’agit aucunement de se chamailler sur des mots. Mais, avant d’aborder quelque étude que ce soit, il faut, pour faire du bon travail, que chacun sache exactement de quoi l’on parle.
Telle était la conclusion de la deuxième leçon de notre cours de gestion modernisée des entreprises. Elle s’applique plus encore au présent cours d’initiation à l’orthologique, qui prend en charge des matières incomparablement plus complexes et subtiles. Mais, alors que les étudiants du cours de gestion auront l’occasion de se perfectionner à chaque leçon dans le maniement de la logique primaire, il n’en ira pas de même ici : ce cours se situe à un niveau où les sentiments auront à jouer un rôle parfois prépondérant. Bien entendu, la raison n’y perdra rien : elle en sera, au contraire, enrichie et renforcée, mais il n’y sera fait d’emprunts qu’assez rares à la logique primaire, et elle ne peut être négligée. C’est pourquoi nous engageons nos étudiants à mettre à profit la présente leçon, où rien d’autre ne sollicite leur attention, pour se lier d’amitié avec Monsieur de La Palisse : ils en seront avantagés tous les jours de leur vie et dans chacune de leurs activités, y compris celles qui semblent s’y rapporter le moins. BERNARD Monsieur de La Palisse est une personne de si bonne compagnie qu’il ne faut guère de temps pour nouer avec lui un commerce familier. Pour ne pas piétiner inutilement, nous pourrions aborder sans tarder une des matières du RUBICON. Invitons nos étudiants à lire ou à relire son deuxième acte : "La Moralité de la Fable". C’est un sujet facile, mais il y a été traité un peu sournoisement : les choses s’y dissimulent plutôt qu’elles ne se montrent. Il serait opportun d’en démasquer bientôt quelques-unes. Ne pourrait-on engager avec nos étudiants un petit débat sur la morale ?
PIERRE Je me le demande. Ne serait-ce aller trop vite en besogne ? (Aux étudiants) A vous d’en décider. Cela dépendra surtout du nombre d’heures que vous pourrez ou voudrez consacrer à ce cours. Sa première leçon était peu engageante. La deuxième est franchement rebutante : elle prépare seulement la fête orthologique. Nous mettons le couvert. J’espère qu’il sera possible, à la prochaine leçon, de servir les hors-d’oeuvres. Si un nombre suffisant d’entre vous répondez à nos questions sur la "Moralité de la Fable", nous engagerons le débat sur la morale.
BERNARD En guise d’apéritif, nous pourrions commenter aujourd’hui les réponses reçues au "grand problème sociologique".
PIERRE Ce serait aussi prématuré que l’était la question posée, qui n’était guère qu’un test. Plusieurs réponses nous ont étonnés : elles traitaient le problème souvent avec finesse, et les femmes s’y sont distinguées : elles sont sociologues-nées. Nous reviendrons à ce problème quand ce cours sera assez avancé pour qu’il soit possible d’appliquer l’orthologique à la sociologie.
Lorsque les décimales erronées *** de la sociologie et de la psychologie classiques auront été rectifiées, les grandes questions sociales pourront être traitées fructueusement. (Aux étudiants) A le faire aujourd’hui, nous abuserions de votre temps. Mais nous vous invitons d’ores et déjà, à propos de la question posée, à observer une chose importante : seules sont ambivalentes les contraintes et les séductions situées sur le terrain de la socialité. Il s’ensuit -dirait Monsieur de La Palisse- que les autres ne le sont pas.
Dès lors, il n’y a pas "incompatibilité entre les besoins moraux des humains et cette ambivalence dont nous ne parvenons pas à nous dépêtrer..." (Le RUBICON, page 70) Nous pouvons nous en dépêtrer. Et c’est parce que nous n’en avons pas montré les moyens dans "La Moralité de la Fable" que Philippe a dû résumer cet acte tout entier dans les termes fâcheux où il l’a fait. Tel est, faute de mieux, le thème que nous livrons aujourd’hui aux réflexions de ceux qui, disposant de plus de temps que cette leçon n’en demande, se plairaient à spéculer sur un sujet de cette sorte.
Il reste à énoncer les règles générales du jeu orthologique et à mettre en place les dispositifs pratiques d’un cours dont nos étudiants vont avoir à se faire un jeu divertissant mais pénétrant. Stimulés toujours plus par ses leçons, ils explorent l’un après l’autre, en eux-mêmes et chez d’autres étudiants,tous les aspects de la nature humaine.
(Aux étudiants). Soyez prévenus : ce cours mettra votre courage à l’épreuve. S’il est parfois amusant, il n’est pas toujours drôle. Plusieurs de ses aspects sont horribles et quelques-unes de ses règles ne laissent pas d’être cruelles tant que, faute d’en avoir pris conscience, nous ne pouvons nous soustraire ni à nos servitudes animales naturelles ni à notre implacable vocation antinaturelle
LES REGLES GENERALES DU JEU ORTHOLOGIQUE
Lorsque le cours d’initiation à l’orthologique fut mis à l’essai en octobre 1968, l’objet de ces règles était de concilier les besoins et les désirs de nos étudiants avec les ressources de l’orthologique. Ces dernières nous étant seules connues, nous nous sommes vus contraints de prêter à nos élèves des désirs et des besoins théoriques, dont les rapports avec la réalité pratique pouvaient être insuffisamment précis. Aussi sollicitions-nous leur aide pour rectifier notre tir. Bien que de grands progrès aient été faits chaque année, nous continuons à solliciter la collaboration de nos étudiants pour parfaire l’ajustement de ce cours à des besoins de plus en plus cernés, de mieux en mieux
I - LE DIALOGUE Nous voulons établir au plus vite un dialogue permanent avec vous, mais nous ne le pouvons pas : vous seul disposez du pouvoir de dialoguer avec nous. Les sujets du dialogue ne peuvent être que ceux qui se rapportent étroitement à chaque leçon. Chacun de vous a des connaissances et des idées intéressantes qu’il souhaite faire valoir et discuter, mais nous ne pouvons pas nous y prêter : ce cours ressemblerait tout de suite à un débat parlementaire. Prenez patience cependant : tôt ou tard les sujets de votre prédilection seront traités. L’orthologique est globale. Rien d’humain lui est étranger.
II - LA PERSONNALISATION DU COURS Lorsque ce cours fut donné pour la première fois, il n’était pas préfabriqué. Chaque leçon était ajustée aux réponses des étudiants à la leçon précédente. Aussi les prises de contact personnel avec ceux qui se sont conformés aux règles du jeu ont été fructueuses et utiles à tous : leurs apports ont été intégrés tantôt dans les leçons, tantôt dans le COURRIER DES ETUDIANTS qui fait partie intégrante du cours. Il n’en va plus tout à fait de même. La charpente du cours s’est édifiée d’elle-même en s’ajustant aux besoins et aux désirs d’un nombre de plus en plus grand de personnes. C’est pourquoi, dans leur état présent, ses leçons répondent acceptablement aux besoins d’à peu près tout le monde. Mais entre "acceptable" et "pleinement satisfaisant", il reste une marge que nous cherchons à étrécir. Chacune de vos réponses peut nous y aider. Bien que charpenté déjà, ce cours est resté aussi vivant, adaptable et évolutif que la première année. Cela peut sembler impossible, mais ceux qui ont VECU ce cours en 1977-78 et surtout l’année suivante ont été profondément marqués et le resteront toute leur vie par une expérience intérieure bouleversante que TOUS NOS ETUDIANTS REVIVRONT chaque année. C’est ainsi, et ainsi seulement, que les effets d’un enseignement deviennent CUMULATIFS.
III - LES QUESTIONNAIRES Les questions posées vous déconcerteront peut-être au début. Elles n’ont pas pour objet, comme c’est l’usage, de montrer que vous avez appris et retenu le contenu des leçons. Ce qui importe, c’est que vous l’assimiliez. L’objet de ces questions sera de faciliter l’assimilation en provoquant la réflexion consciente et en favorisant les associations inconscientes. Vos réflexions seront parfois dirigées vers des sujets dont le rapport avec la leçon en cours ne seront évidents qu’à la leçon suivante. Plutôt qu’en apprenant et en mémorisant les leçons reçues, c’est en prévoyant celles qui suivent que vous constaterez l’assimilation de celles qui précèdent. Ainsi pourrez-vous juger l’arbre à ses fruits.
IV - LA VIE SOCIALE ORTHOLOGIQUE Lorsque ce cours a pris son premier départ, ses étudiants se sont vite trouvés handicapés pour la vie sociale : il leur était devenu impossible de partager les préoccupations de leurs contemporains, de se contenter de plaisirs devenus fades pour eux, et moins encore de prendre au sérieux les comédies de l’amour-propre et des amitiés intéressées qui sont à l’avant-plan des soucis des personnes dont la vie intérieure est restée embryonnaire. Mais, en contrepartie, ils se sont vite trouvés enrichis d’aptitudes aux "amitiés supérieures" qui résultent immanquablement d’une poursuite commune du réel, du vrai, du beau, bref du bonheur. Or il existe déjà un nombre suffisant de personnes dotées de moyens de cette sorte pour former des groupes d’échanges où chacun puisse trouver la chose dont tous ont besoin : un milieu vraiment humain, bienveillant, compréhensif, où fleurisse le caractère le plus constant chez l’homme parvenu à l’âge adulte : la générosité . Ceux qui souhaiteraient prendre part à des échanges de cette sorte sont invités à en informer l’I.F.O., qui les mettra en contact avec des organismes (animés et dirigés par ses étudiants) qui se sont constitués pour les réaliser .
V - LE COURRIER DES ETUDIANTS Ce courrier est une des pièces maîtresses de ce cours. Ses principaux objectifs sont les suivants :
1. Sa première fonction est de mettre le travail de chacun au service de tous. Vos idées, vos découvertes et vos questions profiteront à ceux qui, indécis ou insuffisamment stimulés, ne s’aviseraient pas de les formuler ou de les poser. Par le nombre chaque année grandissant des personnalités originales qui s’y expriment en toute liberté, ce courrier constitue un document humain d’une variété et d’une richesse inestimables.
2. La deuxième fonction de ce courrier est de fournir à ceux qui auraient la vocation professorale une occasion de se faire la main à ce métier, avec notre aide jusqu’à ce que, familiarisés avec nos techniques pédagogiques, ils puissent voler de leurs propres ailes. Ne vous hâtez pas de vous en juger incapables : attendez pour en décider, les effets des éléments d’information qui vont vous être proposés. S’ils ne vous enrichissaient pas de ressources dont vous ne disposez pas encore, ce cours n’aurait aucune valeur d’aucune sorte.
3. Vos énoncés -lorsqu’ils sembleront le demander- seront remaniés par nos soins. Ce vous sera une occasion d’apprendre à vous exprimer. Certes, nous ne prétendons à aucune excellence littéraire. Nous ne saurions vous enseigner le métier d’écrivain, où nos propres déficiences sont manifestes. Notre ambition est de vous aider à prendre l’habitude de vous exprimer avec précision et avec concision . Si, en plus, vos écrits reflètent des talents d’écrivain, la valeur n’en sera que plus grande.
4. Le courrier des étudiants a pour objet non moins important de révéler à ceux qui y prendront part leurs aptitudes aux "amitiés supérieures", puis à les développer par écrit. L’orthologique en fournit les moyens, le courrier des étudiants en multiplie les occasions.
5. Enfin et surtout,un "courrier" auquel les professeurs ne prennent part que pour provoquer son démarrage ou dissiper les malentendus devient très vite un terrain de jeu. Il fournit aux étudiants de constantes occasions de se rappeler que ce cours est un JEU. Il est fait d’une grande variété d’apprentissages ludiques (du latin ludus : jeu) dont l’intérêt et le plaisir grandissent avec les aptitudes à "jouer mieux". Dérivées de structures biologiques communes à tous les organismes vivants, ces aptitudes s’apparentent à celles, dites "merveilles de l’instinct", spectaculaires chez de nombreuses espèces animales. Avant la découverte de ces structures, qui a permis d’observer leurs mécanismes et leurs finalités, la sensibilité des fauvettes aux signaux de leur environnement était aussi inexplicable que celle qui s’extériorise dans les comportements d’un J.S.Bach JOUANT -activité intensément ludique- de la musique.
En guise de coup d’envoi du courrier des étudiants, l’un d’eux a fait une remarque qui met en question un caractère fondamental de ce cours, la forme dialoguée :
ETUDIANT GM. 113**** La forme dialoguée permet la "mise en condition" du lecteur. En insistant sur un aspect d’un problème, en glissant sur un autre, en donnant la parole à un acteur plutôt qu’à un autre, l’auteur dirige le débat, fait applaudir ce qu’il veut, oublier ce qui ne l’intéresse pas. C’est la technique propre au théâtre, la mise en valeur d’un mot ou d’une situation. Cette forme me gêne parce qu’elle permet toutes les pirouettes. Si l’auteur des livres de la collection "Survivre" avait employé la forme d’exposés scientifiques, par exemple, il eût été contraint d’être moins formel sur le caractère de panacée de l’orthologique, mais d’apporter par contre quelques amorces de preuve de son efficacité. Il est souhaitable que chacun prenne part à ce débat en exprimant son opinion sur les avantages et les inconvénients des dialogues.
LES JEUX PEDAGOGIQUES
" Le jeu", écrit un biologiste américain "est d’une importance évidente non seulement pendant l’enfance mais durant toute la vie. Je soupçonne plusieurs des activités les plus caractéristiquement humaines, comme la magie, le rituel, l’art et même la science, d’être autant d’activités ludiques". (Marston Bates, "The Forest and the Sea", Random House, N.York 1960). Le jeu se distingue de nos autres activités par le sentiment d’une gratuité, d’une liberté. Jouant sans y être contraint, l’enfant jouit de l’illusion de n’obéir qu’à lui-même. Plus tard il apprend qu’il peut prendre PLAISIR à se soumettre à des LOIS -règles du jeu- et à VAINCRE des difficultés. Il peut se vaincre lui-même au prix de rudes efforts et y prendre goût. Enfin, devenu adulte, il peut jouer le rôle d’EXPLORATEUR d’un univers devenu pleinement accessible aux humains : celui qui se dissimule en chacun de nous. S’il s’engage dans cette voie, rien ni personne ne peut l’arrêter. Il devient la proie de ses propres découvertes. Elles le ravissent -s’emparent de lui- le nourrissent des joies qui récompensent toujours la conquête du vrai en soi-même, et lui ôtent toute peur. Mais le métier d’explorateur de notre univers intérieur n’est pas spontané et ne s’improvise guère : seuls quelques "génies" s’en sont montrés capables. C’est un jeu qu’il faut apprendre. Or, dans l’état présent des connaissances, il semble n’être enseignable que sous forme de jeux. Cependant, au point où nous en sommes, deux certitudes préliminaires s’offrent déjà à tous :
1. Rien ni personne n’est soustrait aux règles du jeu universel dites "Lois de la nature". Les comprendre, les FAIRE SIENNES, c’est-à-dire les AIMER, est le SEUL moyen -il n’en existe et existera jamais AUCUN autre- de n’avoir à obéir qu’à soi-même. Autrement dit : de se libérer et, dès lors, d’ETRE LIBRE. Nous sommes et resterons seuls à pouvoir conquérir notre liberté.
2. Les lois de la nature sont faites depuis toujours. Aucune évolution n’y est concevable sinon ISSUE D’ELLES.
LES JEUX SONT FAITS
Les lois de la nature sont les règles du jeu universel. Elles sont faites depuis toujours et ne se défont jamais. Mais leurs effets sur la pensée humaine, qui est devenu l’instrument presque unique de nos luttes pour la prépondérance et pour la vie, s’adoucissent et se durcissent selon que nous jouons bien ou mal à nos propres jeux.
Avant la découverte des microstructures de la sensibilité au réel de tous les organismes vivants, la pensée humaine semblait issue d’un cauchemar collectif fait de deux terreurs ancestrales :
1. La peur immémoriale d’être dévoré, vaincu, éliminé par les mécanismes de la sélection naturelle. Issue de l’instinct de conservation, cette terreur est commune à tous les organismes vivants.
2. L’homme, cependant, a toujours été menacé d’un sort mille fois plus effrayant que la mort : vaincu, il était à la merci d’ennemis ivres de peur, de rage et de rancoeurs, qui jouissaient des tortures vengeresses infligées à leurs adversaires sans étancher leur soif de violence ni apaiser leurs haines.
Ces deux terreurs plus ou moins inconscientes, qui répondaient à des périls restés actuels en Asie, sont génératrices des "mauvais rêves" que les humains extériorisent aujourd’hui encore dans leurs comportements : la volonté de puissance et le goût de tuer les rivaux qu’ils ne peuvent dominer, ou le besoin de s’attirer la protection des dominateurs en les servant. Ces goûts et besoins sont à l’origine d’un sadomasochisme universel : seules en sont indemnes quelques peuplades insulaires -remarquées par Margaret MEAD pour la douceur de leurs moeurs- qui ont échappé à la violence des peuples conquérants. Tout comme la faune des îles Galapagos a été soustraite à la pression de la sélection naturelle souveraine sur le continent américain, et les marsupiaux d’Australie à la concurrence des mammifères placentaires qui ont été seuls à survivre partout ailleurs.
Mais une information fondamentale a émergé avec la découverte des microstructures de la pensée, et les mauvais rêves qui se sont abattus sur notre époque deviennent semblables à nos cauchemars nocturnes : ils se dissipent aux premiers rayons de l’aurore. L’hébétude, l’imperméabilité à toute information, la stupidité morne ou active, la hargne, la rancune, la délinquance, la criminalité, la toxicomanie et bien d’autres "caractères culturels" dévastateurs se sont révélés n’être guère que des séquelles de nos terreurs spécifiquement humaines. Notre patrimoine culturel en est resté profondément imprégné. D’où la continuelle résurgence de nos rancunes envers nos "prochains" et l’impuissance congénitale de nos traditions scolaires à y remédier : nées de la peur du réel, elles reposent sur sa négation et consistent d’un moyen sûr de n’en pas prendre conscience : un INTELLECTUALISME qui implante notre pensée sur un terrain où elle peut faire semblant d’en avoir pris conscience, pour s’abandonner à des spéculations sur des concepts vierges de réalités factuelles -le sexe des anges en est le prototype- sans aucun risque de se heurter au réel, ni la moindre chance de s’informer à son contact. L’intellectualisme ne peut ni réveiller notre sensibilité ni nous restituer le pouvoir de sympathiser avec notre environnement et avec nous-mêmes. Ceux, de plus en plus nombreux, qui ont perdu ce pouvoir dépendent de substances hallucinogènes de jour en jour plus répandues pour éveiller en eux l’illusion fugitive d’une sensibilité au réel qui prête un faux-semblant de signification à leur vie.
EVEIL ET CROISSANCE DE LA SENSIBILITE
Chez les animaux sauvages, l’éveil de la sensibilité à leur environnement naturel est spontané. Il l’est moins chez les animaux domestiques, et plus du tout chez ceux qui sont "éduqués" comme étaient les chiens expérimentaux d’Ivan Pavlov.
Or l’Homme est un organisme à la fois autodomestiqué et soumis depuis des millénaires à des apprentissages dangereux par des Pavlov-malgré-eux qui n’avaient aucun soupçon des effets profonds de leurs techniques pédagogiques. Ils ne savaient de science à peu près sûre qu’une chose presque vraie : l’enfant qui a été fouetté s’efforce d’éviter la répétition de cette expérience douloureuse. La consigne de Mme de Maintenon, dont le langage était direct et imagé, aux maîtresses chargées de former des filles "bien élevées", rompues aux exigences de la bienséance, était : "fessez, Mesdames, et refessez : la peau du cul repousse toujours..." La sensibilité des filles ainsi manipulées repoussait-elle aussi sûrement que leur peau ? Nul ne semble s’être posé cette question avant le jour tout récent où un biologiste américain, Georges UNGAR, réalisa une série d’expériences célèbres qui lui ont permis de DENATURER quelques milliers de rats , et de leur engendrer des comportements aussi suicidaires et inintelligents que ceux des victimes -que nous sommes tous- de traditions pédagogiques farouchement attachées au passé, qui récompensent le conformisme conservateur et pénalisent l’originalité, c’est-à-dire LA SENSIBILITE AUX EXIGENCES DE L’AVENIR.
Ces bouleversantes expériences de psychologie et de pédagogie animales sont décrites, commentées, prolongées et reliées à d’autres du même type dans les leçons d’un cours consacré en toute priorité au développement de la sensibilité de ses étudiants aux signaux de leur environnement INTERIEUR.
Avant la mise en service des microstructures de la PENSEE HUMAINE, les aptitudes des fauvettes à savoir l’heure sans mesurer le temps et à s’orienter dans l’espace sans acquérir aucun élément d’information au cours de leurs carrières individuelles tenaient du "merveilleux", du conte de fées. Elles semblaient inexplicables, inaccessibles à l’entendement des hommes et intransférables dans notre univers humain. Depuis cette mise en service, la vérité s’est dénudée sous nos yeux : les hommes sont dotés de ressources incomparablement supérieures à celles des animaux. Mais, alors que, dès leur naissance, les oiseaux héritent du mode d’emploi des leurs, les hommes ont été chassés tout nus du paradis de l’instinct, qui est celui où l’on sait tout FAIRE, sans nul besoin de savoir -ni risque de douter- que l’on sait. Victimes d’un dilemme qui semble n’avoir d’issue que l’auto-extermination et d’alternative que la FUITE EN AVANT, nous sommes nos propres forçats, auto-condamnés à gagner à la sueur de notre front, au prix de nos larmes et d’incessantes effusions de notre sang, des savoirs que nous possédons déjà et à enfanter une humanité qui est déjà la notre !
L’ORTHOLOGIQUE S’EST REVELE LE POUVOIR DE SUBSTITUER DES JEUX LIBRES AUX TRAVAUX FORCES ET LA JOIE PUIS LE BONHEUR A LA SUEUR MELEE DE LARMES ET DE SANG. ELLE N’EST RIEN DE PLUS NI RIEN DE MOINS QU’UN MOYEN D’ORIENTATION ET UNE VOIE D’ACCES A NOS DESTINATIONS ET A NOTRE DESTINEE D’HOMMES.
Notes leçon 2
* Elle se compose de trois ouvrages, dont la lecture est conseillée dans cet ordre : 1. Franchir le Rubicon - 2. Les Jeux de l’Homme et de la Femme - 3. Le Défi Européen. Cependant, pour la plupart des femmes, l’accès d’un monde plus humain est facilité lorsqu’on l’aborde par les Jeux de l’Homme et de la Femme.
** Lorsqu’il y a "surproduction", les prix tendent à baisser au point où les producteurs perdent de l’argent au lieu d’en gagner : le profit symbolique disparaît. Après quoi, faute d’argent, leurs moyens de produire sont réduits ou détruits et les profits matériels disparaissent eux aussi.
*** Voir, dans le Défi Européen, "Le cas de William Shanks" (pp.37 à 40). Ne pas manquer d’y lire aussi le "Coup du Tire-bouchon" (pp.21 à 23) qui éclaire les moyens dont la nature a doté les explorateurs pour faire des découvertes grâce auxquelles "incompréhensible hier est devenu synonyme d’"évident".
**** Dans le préfixe au numéro d’inscription, les initiales I ou G désignent le cours d’initiation ou celui de gestion modernisée, et F ou M le sexe de l’étudiant.
© Centre International d’Études Bio-Sociales